L’eugénisme supprimera t’il l’église?

Dans un futur où le génie génétique permet de manipuler le patrimoine génétique humain, une question angoissante se pose : l’eugénisme, avec ses promesses de perfectionnement de l'espèce et ses risques de discrimination, représente-t-il une menace existentielle pour l’Église et les institutions religieuses ? Ce n'est pas une simple question de science-fiction, mais un défi majeur pour le 21ème siècle qui nécessite une réflexion profonde sur l'intersection complexe entre la science, la morale et la foi.

Nous analyserons les points de convergence et de divergence, les scénarios d’interaction possibles et les défis qui se posent à la foi dans un monde de plus en plus influencé par la technologie génétique.

Points de convergence et de divergence entre eugénisme et les religions

L'eugénisme, dans son essence, vise à améliorer les caractéristiques génétiques de l'humanité, une quête de perfection qui, de prime abord, semble éloignée des préoccupations des institutions religieuses. Pourtant, une analyse attentive révèle des points de contact, des valeurs partagées mais surtout des divergences fondamentales qui pourraient mener à un conflit.

Valeurs communes (apparentes)

  • La recherche du bien-être humain : L’eugénisme, dans ses formes les plus modérées, vise à réduire la souffrance humaine causée par des maladies génétiques. De même, les religions aspirent à un monde meilleur, exempt de maladie et de souffrance. Toutefois, la conception du « bien-être » diffère significativement. L'eugénisme se concentre sur le bien-être physique et mental, mesurable via des indicateurs biologiques. Les religions incluent une dimension spirituelle et morale, souvent inaccessible à la mesure scientifique.
  • La maîtrise du destin : L'eugénisme représente une tentative ambitieuse de contrôle sur l'évolution humaine. Certaines interprétations religieuses, comme certains courants créationnistes, peuvent sembler partager ce désir de maîtrise, mais avec un objectif et une approche radicalement différents. L'intervention divine se situe sur un plan transcendantal, tandis que l’eugénisme opère une intervention directe et matérielle sur le génome humain.

Points de divergence majeurs

Malgré ces convergences apparentes, des divergences fondamentales existent entre l'eugénisme et les croyances religieuses:

  • Le libre arbitre : L’eugénisme, en manipulant le génome humain, pourrait potentiellement limiter ou supprimer le libre arbitre, principe central dans de nombreuses religions. La prédestination génétique contredit souvent la notion d'un individu responsable de ses choix et de son destin spirituel. La liberté de choix et de conscience, essentielle à la foi, pourrait être menacée.
  • La dignité humaine et la valeur de la différence : L'eugénisme, même sous sa forme la plus « libérale », implique une forme de sélection et de hiérarchisation des individus. Cela contredit directement le principe d'égalité et de respect de la dignité humaine, pierre angulaire de la plupart des religions. La valeur intrinsèque de chaque être humain, quel que soit son état de santé ou ses capacités, est contestée par l'eugénisme.
  • Le rôle de la souffrance et du handicap : De nombreuses religions considèrent la souffrance et le handicap comme des épreuves, des occasions de croissance spirituelle ou même des signes de la volonté divine. L'eugénisme, au contraire, tend à les éliminer, remettant en question l'acceptation de la fragilité humaine et la signification de la souffrance dans le cadre spirituel. Environ 1 enfant sur 10 naît avec un handicap, selon l’OMS, chiffre qui souligne l'impact potentiel de l’eugénisme sur ce groupe.
  • Le mystère de la vie et de la mort : L’eugénisme aborde la vie et la mort d'un point de vue purement scientifique, réduisant l'être humain à ses composants génétiques. Les religions, quant à elles, introduisent une dimension spirituelle et transcendante, incluant des notions d'âme, d'au-delà, de résurrection et de destin éternel. Ce désaccord fondamental sur la nature même de l'existence humaine est inévitablement source de conflit.

Scénarios d'interaction et leurs implications

L'histoire nous offre des exemples concrets d'interactions entre eugénisme et religion, allant de la collaboration à la confrontation ouverte.

L'eugénisme comme outil de contrôle social (régimes totalitaires) :

Le nazisme, avec ses politiques eugénistes radicales ayant mené à l'extermination de millions de personnes, représente l'exemple le plus effrayant d’une perversion de la science au service d'une idéologie. L'Église catholique, notamment, a subi une répression violente sous ce régime, illustrant le danger de l'eugénisme lorsqu'il est instrumentalisé à des fins politiques et idéologiques. L'Holocauste, avec ses victimes juives, témoigne de l'impact dévastateur d'une idéologie eugéniste dévoyée.

L'eugénisme libéral et la bioéthique :

Dans les sociétés occidentales, le développement de la bioéthique a tenté de réglementer les applications de l'eugénisme libéral. Cependant, les débats autour du diagnostic prénatal, de la sélection d'embryons et des nouvelles techniques de modification génétique restent houleux. La disponibilité de tests génétiques prénataux a augmenté de manière exponentielle, passant de quelques centaines en 1990 à des milliers aujourd’hui. Cette démocratisation pose des questions éthiques complexes pour les religions. Les lignes de fracture entre les approches scientifiques et les convictions religieuses sont souvent profondes.

L'adaptation des institutions religieuses :

Face à ces défis, les institutions religieuses sont confrontées à la nécessité de s’adapter sans compromettre leurs valeurs fondamentales. Certaines églises intègrent progressivement le débat bioéthique, cherchant des solutions conciliant la foi et les avancées de la science. D’autres maintiennent une position plus conservatrice, s’opposant à toutes les formes d’eugénisme et défendant la valeur inhérente de chaque vie humaine, quel que soit son patrimoine génétique.

L'avenir de la foi face à l'eugénisme

L'avenir des relations entre la foi et l'eugénisme est incertain et dépendra de nombreux facteurs : l’évolution des technologies génétiques, l’influence des courants de pensée religieux et la capacité des sociétés à encadrer le développement de ces technologies.

La question de la survie des institutions religieuses :

L’eugénisme, dans ses formes les plus radicales, représente un danger pour la survie des institutions religieuses si ces dernières sont ciblées par des politiques eugénistes. Toutefois, des formes plus subtiles d’eugénisme, même si elles ne mènent pas à une suppression directe des religions, pourraient influencer profondément les pratiques religieuses et la transmission des traditions. La modification génétique des embryons, par exemple, pourrait modifier la compréhension du début de la vie humaine et son rapport à la spiritualité.

L'évolution des doctrines et des pratiques religieuses :

L’eugénisme pourrait modifier le paysage religieux. De nouveaux débats théologiques pourraient émerger, notamment autour des questions de la création, de la dignité humaine et de la définition de la vie. Des nouvelles interprétations des textes sacrés et des adaptations des rites pourraient se développer en fonction de la place occupée par le génie génétique dans la société. Aujourd’hui, plus de 7 milliards de personnes vivent sur Terre. L'impact à long terme de l'eugénisme sur la diversité humaine et la diversité spirituelle reste à définir.

Le rôle des religions dans le débat éthique :

Les institutions religieuses ont un rôle essentiel à jouer dans le débat éthique entourant l’eugénisme. Elles peuvent promouvoir une réflexion approfondie sur les implications morales et spirituelles de ces nouvelles technologies, rappeler l’importance de la dignité humaine et la valeur de la différence, et contribuer à l'élaboration de réglementations éthiques appropriées. La collaboration entre les scientifiques, les experts en éthique et les leaders religieux est essentielle pour assurer un futur responsable et équitable en matière d’eugénisme.