L’eugénisme, visant à « améliorer » l’espèce humaine par la sélection génétique, entre en conflit direct avec la vision inclusive de l’humanité défendue par l’Église. Cette tension, ancienne et exacerbée par les technologies comme CRISPR-Cas9, soulève des questions cruciales sur l'avenir du dialogue entre science et religion, et sur la place de la foi dans un monde transformé par le génie génétique.
L’eugénisme, sous ses multiples formes – des politiques de stérilisation du début du XXe siècle aux techniques de modification génétique actuelles – représente-t-il une menace existentielle pour l’Église ? Ou offre-t-il paradoxalement une opportunité de réinvention et de dialogue sur la dignité humaine ? L’analyse des enjeux historiques, éthiques et théologiques est indispensable pour répondre à cette question complexe.
L'eugénisme : une menace potentielle pour l'église ?
L’histoire de l’eugénisme est marquée par des violations flagrantes des valeurs chrétiennes. Des pratiques eugénistes, souvent soutenues par les États, ont mené à des discriminations et à des persécutions à l’encontre de groupes considérés comme « inférieurs ».
L'eugénisme historique et sa confrontation avec l'église
Les mouvements eugénistes du début du XXe siècle, particulièrement en Europe et aux États-Unis, ont mis en place des politiques de stérilisation forcée, ciblant des individus jugés « défectueux » selon des critères physiques, mentaux ou sociaux. Ces pratiques, qui ont affecté plus de 60 000 personnes aux États-Unis, violent les principes chrétiens d’inclusion, de respect de la dignité humaine et de solidarité avec les plus vulnérables. L’Église, face à ces dérives, a réagi de manière inégale, son opposition restant parfois timide face au poids des idéologies eugénistes et à la pression politique.
- Stérilisations forcées : atteinte directe au droit à la procréation et à la dignité humaine.
- Discrimination des personnes handicapées : rejet de la différence et de la vulnérabilité.
- Euthanasie nazie : extermination systématique de personnes jugées « indésirables ».
L'eugénisme nazi, par exemple, a mené à l'assassinat de plus de 200 000 personnes handicapées, illustrant l'horreur extrême que peut engendrer une idéologie eugéniste.
L'eugénisme libéral et ses implications pour la foi
L'eugénisme libéral, axé sur le choix individuel et le « perfectionnement » génétique, pose de nouveaux défis. L'accès inégalitaire aux technologies de reproduction médicalement assistée (PMA) et aux tests génétiques crée une inégalité face à la santé et au bien-être, remettant en question le principe d'égalité chrétienne. Le diagnostic prénatal, pratiqué par exemple par 70% des femmes enceintes en France, peut mener à des interruptions volontaires de grossesse (IVG) pour des raisons liées à des anomalies génétiques, soulevant des questions cruciales sur le respect de la vie humaine à toutes ses étapes. L'utilisation du diagnostic préimplantatoire (DPI), pour sélectionner les embryons sans maladie génétique, pose des questions sur la valeur intrinsèque de la vie humaine.
L'eugénisme "améliorateur" et le défi de la définition de "l'humain"
Les technologies de modification génétique comme CRISPR-Cas9 ouvrent des perspectives vertigineuses, mais aussi des risques majeurs. La perspective de modifier le génome humain pour des fins d’« amélioration » soulève des questions éthiques fondamentales, remettant en cause la définition même de l’humanité. Plus de 7000 maladies génétiques sont identifiées, mais la possibilité de les corriger soulève des dilemmes majeurs sur les limites de l'intervention scientifique, les conséquences imprévisibles et les risques d'abus.
- Le risque de créer des inégalités génétiques, accentuant les disparités sociales.
- La question de la définition de la « normalité » et de la « perfection » génétique.
- L’impact sur la diversité génétique humaine et l’équilibre des écosystèmes.
Le développement de la thérapie génique, qui concerne plus de 2000 essais cliniques, montre le potentiel de la génétique pour soigner des maladies graves, mais soulève également des questions éthiques sur les limites de son utilisation et ses potentiels dérives.
L'église face à l'eugénisme : opportunités et adaptations possibles
L’Église a un rôle crucial à jouer dans le débat bioéthique, non en s’opposant au progrès scientifique, mais en proposant une réflexion éthique et une vision anthropologique éclairées.
Le rôle de l'église dans le débat bioéthique
L’Église peut contribuer à réguler l’application des technologies génétiques en articulant des arguments théologiques et philosophiques robustes, s'appuyant sur la tradition chrétienne et sur une interprétation pertinente des textes sacrés concernant la création et la dignité de la personne humaine. Le dialogue interreligieux et interdisciplinaire – impliquant scientifiques, philosophes, théologiens, et responsables politiques – est indispensable pour élaborer un cadre éthique commun.
Revaloriser la différence et l'inclusion
L’Église peut promouvoir une vision de l’humanité qui valorise la diversité et dépasse les critères de « perfection » génétique souvent arbitraires et discriminatoires. L’accompagnement spirituel des personnes handicapées et de leurs familles est primordial, pour lutter contre les pressions eugénistes et affirmer la valeur inaliénable de chaque individu, quelle que soit sa condition. Environ 1 milliard de personnes dans le monde vivent avec un handicap, rappelant la nécessité d’inclusion et d'intégration de la différence.
Réinterpréter la notion de "création" à l'ère du génie génétique
L’Église doit intégrer les avancées scientifiques dans une vision chrétienne de la création, conciliant la foi en un Dieu créateur avec la capacité humaine à intervenir sur le vivant. Un défi majeur est de développer une théologie de l’eugénisme responsable, capable d’encadrer l’utilisation des technologies génétiques tout en respectant la dignité humaine et la valeur de chaque vie. L'augmentation de l'espérance de vie mondiale de plus de 20 ans au cours du dernier siècle témoigne du potentiel des sciences à améliorer la vie humaine, mais il est crucial de le faire de manière éthique et responsable.
L’avenir de la relation entre l’Église et l’eugénisme reste incertain. Il s’agit d’un dialogue complexe et évolutif, exigeant une réflexion approfondie et une collaboration continue entre les acteurs impliqués, pour prévenir les dérives et garantir un usage responsable des technologies génétiques.