Narcisse et son mythe

Publié le : 01 décembre 20209 mins de lecture

Le mythe de Narcisse est certainement le plus connu de la mythologie grecque. Si célèbre qu’il est devenu un mot couramment utilisé pour désigner une caractéristique spécifique de l’homme : l’amour infini pour soi-même. Le mythe de Narcisse, en effet, raconte l’histoire d’un beau jeune homme qui perd la vie parce qu’il tombe follement amoureux de son reflet.

Il existe de nombreuses versions du mythe et il est difficile de les jongler. La source la plus autorisée est Ovide et ses Métamorphoses. L’ouvrage est un point de référence pour la diffusion de la mythologie grecque car il contient toutes les histoires de métamorphose.

En ce qui concerne le monde grec, la première source absolue serait le papyrus d’Ossirinco, peut-être l’œuvre de l’écrivain Partenio. La source grecque qui fait le plus autorité serait cependant l’œuvre de Pausanias, Periegesis de Grèce (IIe siècle après J.-C.). Les différences entre les versions grecque et romaine sont assez évidentes.

Sources historiques et épigraphiques

Ovide place le mythe de Narcisse dans un cycle épique autour de la cité de Thèbes aux côtés d’Œdipe dont la figure manque chez l’auteur latin. Certains chercheurs pensent qu’il s’agit d’un choix délibéré d’Ovide qui, au lieu de reprendre les traditions orales thébaines sur Œdipe, a substitué Narcisse au personnage œdipien. Narcisse a un succès immédiat dans les arts figuratifs romains, notamment dans de nombreuses fresques pompéiennes5.

En faisant des recherches épigraphiques, l’helléniste Denis Knoeplfer a retrouvé deux inscriptions sur un culte possible de Narcisse (la plus ancienne date du iiie siècle av. J.-C.) remontant vraisemblablement « à l’âge du bronze finissant ». Il émet l’hypothèse que Narcisse est originaire non de la Béotie mais de la tribu Narkittis6 dans l’île d’Eubée. Le géographe grec Strabon7 mentionne dans la région d’Oropos le mnêma, tombeau de Narcisse l’Erétrien, appelé aussi le Silencieux ou le Silenciaire. L’helléniste Denis Knoeplfer date ce tombeau des alentours de -600, date à laquelle Oropos était une possession d’Érétrie. Enfin le Pseudo-Probus, dans un commentaire des Bucoliques de Virgile, précise que Narcisse est le fils d’Amarynthus8, « veneur d’Artémis qui fut un Erétrien originaire de l’île d’Eubée ». Le culte de Narcisse, chasseur de l’entourage d’Artémis, serait ainsi né en Eubée à l’époque archaïque et aurait transité par Oropos pour s’établir à Thespies, cité rivale de Thèbes proche du mont Hélicon, lieu de retraite des Muses qui inspira de nombreux poètes grecs. Le mythe, à l’instar de l’enseignement d’Apollon à Hyacinthe, serait ainsi la formation du jeune éphèbe Narcisse par Artémis à devenir un citoyen accompli.

Postérité

Des anthroponymes de Narcisse (Narkissos, Narcissus) apparaissent dès la fin du ier siècle av. J.-C.. Une statuette de Tanagra du iiie siècle av. J.-C. est parfois interprétée comme un Narcisse. Le mythe inspire des auteurs médiévaux comme Boccace ou Maximus Planudes.
Dans le langage courant, on dit d’une personne qui s’aime à outrance qu’elle est narcissique.
Le narcissisme est également défini en psychanalyse.

Interprétations
L’histoire de Narcisse est généralement considérée comme une leçon à l’intention des gens qui s’admirent trop. « Cette légende admirable rend sensible la stérilité d’un amour qui tourne autour de soi, la stérilité d’une connaissance qui est un repliement sur soi. »

Le psychothérapeute Thomas Moore, à partir de la version d’Ovide, apporte une dimension nouvelle à l’interprétation du mythe. Il fait valoir que Narcisse est préoccupé de sa beauté mais n’en est pas pleinement conscient et cherche toujours, pour cette raison, à se faire valoir auprès des autres sans être capable de s’engager dans une relation. « En d’autres termes, en elle-même, la manifestation d’amour-propre narcissique indique l’incapacité de s’aimer soi-même12. » Sa rencontre avec la nymphe Écho, qui ne peut que lui renvoyer ses propres paroles et devant qui il recule, illustre le vide et la stérilité de ce rapport au monde. C’est lorsque Narcisse découvre, en se mirant dans la source, qu’il est vraiment beau qu’il réussira à s’aimer lui-même plutôt que de chercher la reconnaissance à l’extérieur. Advient alors une transformation profonde, symbolisée par sa mort et sa transformation en fleur (mort de l’ego, épanouissement du Soi).

Herbert Marcuse opère un rapprochement entre Orphée et Narcisse dans Éros et civilisation (chapitre VIII).

Évocations artistiques
Narcisse, une toile attribuée au Caravage (1597-1599)
Echo et Narcisse, une toile de Nicolas Poussin, (1629-1630)
Liriopé présentant Narcisse à Tirésias, un tableau de Giulio Carpioni (vers 1660)
Narcisse, une toile du peintre Hongrois Gyula Benczúr (1881)
Echo et Narcisse, une toile de John William Waterhouse (1903)
Métamorphose de Narcisse, tableau de Salvador Dalí (1937)
Narcisse, no 5 des Six métamorphoses d’après Ovide pour hautbois seul de Benjamin Britten (1951)
Pink Narcissus, un film de James Bidgood (1971)
Narcisse, une toile de Pierre et Gilles (2012), modèle Matthieu Charneau.

Le mythe de Narcisse : l’histoire et les versions

En général, l’histoire a des points communs dans toutes les versions. Narcisse est le fils de Céphysus, un dieu de la rivière, et de Lyriope, une nymphe. Cependant, la mère était très inquiète car elle avait donné naissance à ce magnifique enfant. Elle est donc allée voir l’oracle Tiresia, qui lui a conseillé de ne jamais le faire connaître lui-même. L’enfant a grandi et est devenu un bel adolescent, dont tout le monde est tombé amoureux. Narcisse, cependant, a rejeté tout le monde, peut-être par orgueil ou par forte personnalité.

Selon la version romaine, Echo, une nymphe qui ne pouvait pas parler la première parce qu’elle était punie par Junon, est tombée follement amoureuse de lui. Elle ne pouvait cependant pas se déclarer car sa voix ne faisait que faire écho à celle de Narcisse, qui l’a brusquement rejetée. La jeune fille a donc passé le reste de sa vie à errer dans les vallées, jusqu’à ce qu’elle ne devienne plus qu’une voix.

La déesse de la vengeance, Némésis, a décidé de punir le jeune Narcisse pour son refus de la nymphe. Elle l’a condamné à se refléter dans un étang de boisson. Quand il est descendu pour boire l’eau, il a vu son reflet et est tombé follement amoureux d’elle. Au bout d’un moment, il a réalisé qu’il était lui-même le beau garçon et a compris que son amour était impossible.

Ovide dit que Narcisse est mort consumé par le feu de cet amour inatteignable. D’autres sources rapportent qu’il s’est jeté dans la rivière, dans l’extrême tentative d’atteindre l’amour. Lorsque les nymphes se sont précipitées pour enterrer son corps, elles ont trouvé de belles fleurs à sa place. C’étaient des fleurs blanches et jaunes, que l’on appelle aujourd’hui des fleurs de narcisse. Ce terme vient du mot grec narke, qui signifie étonnement (l’étonnement de Narcisse qui a vu son image pour la première fois).

La version grecque

Selon la version grecque, contenue dans les papyrus d’Ossirinco, Narcisse a été puni et forcé de se refléter parce qu’il avait poussé un jeune garçon nommé Aminia à se tuer pour ne pas lui rendre la pareille. Pausania, au contraire, a changé une partie importante de l’histoire. Selon lui, Narcisse n’est pas tombé amoureux de son reflet mais de sa soeur jumelle décédée. En se reflétant, il a vu en lui-même le visage de sa sœur bien-aimée et a trouvé du réconfort dans sa douleur.

Narcisse dans la culture

En tout cas, quelle que soit la version à laquelle on se réfère, le mythe de Narcisse a fasciné des centaines de générations de toutes les périodes de l’histoire. En peinture, elle a inspiré les plus grands artistes : on se souvient notamment du Narcisse de Caravage (1600), de Narcisse et Echo de William Turner (1804) et de la Métamorphose du Narcisse de Salvador Dali (1937).

Il est impossible de ne pas se souvenir de l’influence que le mythe a eu dans la littérature de tous les temps, surtout à partir du XIXe siècle. Il suffit de dire que le célèbre roman d’Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, est fortement inspiré par la figure de Narcisse. Les références pourraient continuer, en passant par la musique et le cinéma.

Pour bien comprendre la célébrité du mythe, on peut voir que les mots narcissisme et narcissique sont maintenant entrés dans notre vocabulaire commun pour désigner précisément une personne qui ressent trop d’amour pour elle-même. Cela nous aide à comprendre combien les mythes grecs font aujourd’hui partie de notre patrimoine culturel et combien ils ont influencé notre civilisation depuis le début.

Plan du site